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Note d'intention du metteur en scène
Les personnages de L’Epreuve du feu marchent. Ils longent. Ils ne se regardent jamais en face. Ils sont allés très loin. Ils se tournent autour. Ils s’esquivent. Ils se rapprochent dangereusement du moment où tout pourrait basculer. Ils regardent là où il fait gris. Ils regardent là où on ne pleure plus. Ils traînent leur corps dans des lacs gelés. Pourtant, indifférents ou apathiques, ils n’ont ni chaud ni froid.

Moi, j’ai froid. J’ai froid lorsque je les écoute me raconter leurs crimes.

On ne naît pas « humain ». On le devient. L’humanité n’est pas donnée avec la naissance. Sans cesse, on la construit, sans cesse, elle crève, sans cesse on cherche en nous pour elle une nouvelle terre. Les crimes les plus terribles ont été commis. Et cela continue. Sans cesse, de nouveaux génocides. Sans cesse, des crimes, mêmes domestiques, mêmes minuscules. Qu’y a-t-il tout au fond de nous-mêmes ?

Moi, j’ai froid. Tout au fond de moi, j’ai froid.

Les personnages de L’Epreuve du feu ne se prennent ni pour des victimes ni pour des bourreaux. Ils ont fait, ils ont commis. C’est tout. Il n’y a pas de parce que. Il n’y a pas de circonstances atténuantes. Ils ne sont pas malades. Ils sont comme en-dehors. En eux, il n’y a plus de terre.

Moi j’ai froid. Pour le moment, j’ai froid. J’ai froid, parce que j’ai peur de perdre ce qui précisément est capable en moi de « frémir ».

« Il y a [dans le théâtre] comme dans la peste une sorte d’étrange soleil, une lumière d’une intensité anormale où il semble que le difficile et l’impossible même deviennent tout à coup notre élément normal », écrivait Artaud. Le difficile et l’impossible nous font face sur la scène. Ce qu’on refuse parfois de voir. Ce qui traîne à un endroit bizarre. Ce qui n’a pas vraiment de visage, ou alors un visage si épouvantable qu’on ne peut le regarder plus de quelques secondes. Nous-mêmes, en quelque sorte. Tout à coup c’est là. J’ai froid. Le soleil est noir. Je me regarde, et c’est une étrange expérience.

Guillaume Béguin, décembre 2011
 
 
« Longer à pas de loup la mince cloison qui sépare l’homme de lui-même »

Martin Heidegger