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Note d'intention du metteur en scène Imprimer
Ce qui m’intéresse au théâtre depuis Matin et soir de Jon Fosse que j’ai mis en scène en 2007, c’est la question de l’identité. Ce que j’identifie comme étant MOI (ma personnalité, mes croyances, mes valeurs, mon caractère extraverti ou introverti etc), ce n’est peut-être en fait pas tout à fait moi. D’ailleurs, les autres ne me voient pas toujours comme JE me vois. Et lorsque je me regarde filmé en vidéo, ou simplement photographié, je ne suis pas toujours certain de me reconnaître. Et si je rencontrais aujourd’hui celui que je serai dans vingt ou trente ans, il n’est pas certain que je ME reconnaîtrerais. Et quand je communique, quand j’explique ce que je pense ou ce que je ressens, j’ai quelquefois l’impression que je ne dis pas tout à fait la vérité, ou que quelqu’un d’autre parle à ma place, ou en tout cas que je ne dis qu’une infime partie de ce que je pense ou ressens réellement. Une toute petite partie. C’est-à-dire pas grand chose, finalement, de ce que je pense être MOI. MOI, au bout du compte, c’est à la fois moi et tout le monde, et peut-être aussi personne. JE suis dilué. JE suis plusieurs. JE ne suis PAS.

Si au cinéma cette question a souvent été abordée (je pense notamment aux films de David Lynch), au théâtre on se heurte inévitablement à la question de la présence de l’acteur, en direct, sur le plateau. On a beau laisser l’acteur dans l’ombre, brouiller les pistes, mettre des fumigènes, il est toujours là, face au public qui ressent sa présence à chaque instant, et qui l’identifie comme une personne (ou un personnage), définie, entière et plus ou moins cohérente.

 

Comment dès lors rendre compte théâtralement de cette « chimère » du MOI soi-disant défini et cohérent ? Il m’a semblé que le travesti pourrait être une bonne piste. Ce qui est « magique » avec le travesti, c’est que l’on y voit à la fois le sexe originel et l’autre sexe, celui qui est joué. Dépositaire de deux identités sexuelles, le travesti a au moins deux visages superposés. Le texte de Grichkovets, de son côté, est constitué d’une succession d’anecdotes, étroitement tissées entre elles. Autant de facettes d’une même personnalité, mais qui au final sont tellement nombreuses qu’inévitablement on se pose la question : et si toutes ces anecdotes, ces tentatives de s’approprier le monde et d’en rendre compte afin de le ressentir et de dire qu’on existe ne constitueraient pas le plus terrible des aveux ? Celui qui consisterait à dire que je ne peux pas me définir sans mentir, sans revêtir une fausse identité, que JE n’est pas MOI ?

 
 
« On ne sait pas à quel moment on va ressentir quelque chose ni quelles conditions sont nécessaires. Par exemple, vous allez à Dresde, vous arrivez au musée, dans la salle où se trouve la Madone Sixtine, vous vous plantez devant le tableau et vous ne ressentez rien. Alors qu’en regardant une mauvaise reproduction, vous ressentiez tout. Ça veut dire que vous avez fait le voyage pour rien ou quoi?! Parce que ce n’est pas du tableau que vous aviez envie… mais de ressentir. »

Evguéni Grichkovets

« On se souvient toujours de ses rêves, on ne se souvient jamais de ses sommeils. »

Marguerite Yourcenar