Je suis le vent,
de Jon Fosse
« Elle a troué la mer de son corps et elle a disparu dans le trou de l’eau. La mer s’est refermée. A perte de vue on n’a plus rien vu que la surface nue de la mer, elle était devenue introuvable, inventée. »
— Marguerite Duras, Savannah Bay
Je suis le vent se déroule en mer. Les deux héros naviguent, s’amarrent à une petite crique, discutent. Les mots leur font quelquefois défaut pour décrire leurs angoisses, leurs joies, leur difficulté de vivre. La mer, elle, est toujours là. Le paysage, havre de silence, sonne comme un appel. Ils repartent. S’arrêtent encore. Alors que le vent se lève, ils partagent l’amitié d’un verre de schnaps, la saveur d’un repas pris en commun. Bien plus tard, alors que la pièce touche à sa fin, le bateau revient au port. Mais il n’y a plus qu’un seul homme à bord. Qu’est-il arrivé ? L’un des hommes est – à ce qu’il dit – « parti avec le vent ».
Après avoir monté Édouard Levé, Martin Crimp, Magnus Dahlström, et sa propre création autour des grands singes et des origines de l’humanité (Le baiser et la morsure), Guillaume Béguin s’empare de Je suis le vent, la dernière pièce de Jon Fosse – et sans doute sa plus belle. Avec l’ambition de provoquer chez le spectateur un ébranlement – sensible et sensé, des sens et dusens, la mise en scène se déploie à travers quatre espaces distincts. Celui d’une scénographie « architecturale », confrontant les acteurs à l’immensité du monde qui les entoure ; un espace sonore, entremêlant les voix à des sons électroniques, sourds, lancinants, « tectoniques » ; une chorégraphie des corps, évoquant un désir de fusion vers le ciel et les vagues ; enfin, un vaste espace mental imaginaire, généré par le texte de Jon Fosse, lequel se prolonge puissamment et subtilement en direction du public. C’est de la confrontation de ces quatre espaces que naît le spectacle, aventureux et sensible, auquel Guillaume Béguin invite. Une confrontation unique avec les plus grands mystères, la fascination et l’angoisse devant sa propre disparition – et celle de ceux que l’on a aimés.
— Générique
Traduction Terje Sinding (L’Arche Editeur)
Interprétation Jean-François Michelet, Matteo Zimmermann
Dramaturgie Nicole Borgeat
Scénographie Sylvie Kleiber
Collaboration artistique Tamara Bacci
Costumes Karine Dubois
Lumière Luc Gendroz
Musique, son et régie son David Scrufari
Construction du décor Valère Girardin, Gilles Béguin
Peinture Béatrice Lipp
Direction technique Maxime Fontannaz
Régie lumière Guillaume Gex (Arsenic), Jean-Lionel Sontag (Loup)
Training acteurs Tamara Bacci, Piera Honegger
Presse Pierre-Yves Walder
Photos Steeve Iuncker
Vidéo Videocraft
Production Compagnie de nuit comme de jour
Coproduction Arsenic – Centre d’art scénique contemporain – Lausanne,
Théâtre du Loup – Genève
Production déléguée Laure Chapel – Pâquis Productions
Diffusion Delphine Prouteau
Avec le soutien de Etat de Vaud, Ville de Lausanne, Canton de Genève, Loterie Romande, ProHelvetia – Fondation suisse pour la culture, Fondation Hans Wilsdorf, Pour-cent culturel Migros, Fonds Culturel de la Société Suisse des Auteurs, Fonds d’encouragement à l’emploi des intermittents genevois, Théâtre Les Halles – Sierre
Remerciements Nicole Aubert, Marie Béguin, Collection de l’Art Brut, Sorana Dumitru, Paul Jenny, Virginie Kaiser, Anne-Lise Jeanneret, Daniel Jeanneret, Pierre Maillet, Raymond Marquis, Théâtre Populaire Romand, Stéphane Rentznik, Jean-Philippe Roy
Remerciements spéciaux Daniel Demont, Lionel Haubois et toute l’équipe technique de l’Arsenic
Visuel Anne-Lise Jeanneret, sans titre (détail), entre 1998 et 2005, pastel gras sur papier, 44 x 50 cm, Photo : Olivier Laffely, Atelier de numérisation – Ville de Lausanne, Collection de l’Art Brut, Lausanne
Ce spectacle est dédié à la mémoire de Bernard Py
— dates
Arsenic
du 9 au 19 janvier 2014
www.arsenic.ch
Théâtre du Loup
du 23 janvier au 2 février 2014
www.theatreduloup.ch
— Photos du spectacle
© Steeve IunckerJon Fosse
Ecrivain norvégien né en 1959, Jon Fosse est l’auteur d’une quinzaine de pièces de théâtre, dont la plupart sont traduites en français (et publiées par L’Arche Editeur), et dont les plus connues sont Le Nom, Hiver, Quelqu’un va venir, Variations sur la mort… et Je suis le vent, l’une de ses dernières pièces. Il est également romancier, essayiste, poète, auteur de contes et de pièces de théâtre pour enfants, ainsi que traducteur, notamment de Thomas Bernhard.
Son théâtre est joué partout en Europe. En Allemagne, Thomas Ostermeier notamment s’est intéressé à son œuvre (Le Nom, mise en scène en 2000). En France, c’est Claude Régy qui l’a fait connaître (Quelqu’un va venir, 1998, Melancholia-Théâtre, 2001, Variations sur la mort, 2003). Jon Fosse a tiré de son roman Melancholia le livret d’un opéra éponyme, dont Georg Friedrich Haas a composé la musique (création mondiale à l’Opéra National de Paris en 2008, mise en scène de Stanislas Nordey). Jon Fosse est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands dramaturges vivants ; il a reçu de nombreux prix, dont le prix Ibsen.
Eg er vinden (Je suis le vent), écrite en 2007, a été créée en anglais par Patrice Chéreau (I am the wind, 2011). A Zurich, Matthias Hartmann, directeur du Schauspielhaus, a mis en scène Ich bin der Wind en ouverture de la saison 2009-10.
Note d’intention du metteur en scène
Je suis le vent se referme sur le suicide de l’Un, l’un des deux personnages de la pièce. Chez Jon Fosse, les personnages n’ont pas de prénoms, ce ne sont d’ailleurs pas des personnages au sens classique du terme. Ici ils se nomment simplement l’Un et l’Autre, et tout ce qu’on sait d’eux, c’est qu’ils sont amis et qu’ils naviguent. D’ailleurs, toute la pièce se déroule sur un bateau. A la fin de la pièce, l’Un se jette à la mer. Et l’Autre regarde son ami disparaître dans les vagues, après avoir vainement tenté de le secourir. La tempête se déchaîne, l’Autre est contraint de ramener le bateau au port. Il abandonne ainsi l’Un à l’océan.
L’Un et l’Autre ne sont peut-être que les deux faces d’un même être. Nous avons tous des deuils à faire. Des parties de nous à jeter à la mer. Nous les traînons avec nous durant de longs mois, et un beau jour nous prenons un bateau, nous rejoignons le large, et jetons à la mer ce que nous avons à jeter. Il nous faut alors revenir au port, seul. Une nouvelle vie peut commencer. Une vie sans « l’autre ».
Ce qui s’exprime dans Je suis le vent est à la fois très simple et très compliqué. Comme tous les grands dramaturges, Jon Fosse cherche à exprimer quelque chose qui ne peut se dire qu’à travers le théâtre. C’est la représentation de la pièce, à travers des acteurs et devant un public, qui permet de faire entendre ce qu’il y a à exprimer. Cela ne peut se formuler dans un résumé ou à travers un article de journal ; cela ne peut se transmettre qu’à travers une expérience intellectuelle, sensuelle et collective. Jon Fosse a commencé sa carrière d’auteur en écrivant des essais et des textes théoriques. Puis il y a totalement renoncé, pour se consacrer exclusivement au genre théâtral et au roman. Ce qu’il cherche à rendre visible, à rendre sensible, se trouve dans un endroit très particulier. Cela se trouve « entre ». Cela ne se trouve pas dans les mots, pas dans les phrases, ni même dans l’intensité de l’interprétation d’un acteur ou dans la justesse de son geste. Cela ne se trouve pas dans les silences, très nombreux dans toutes les pièces de Jon Fosse. Cela se trouve « entre ». Entre l’acteur et son rôle, entre les mots et leurs sens, entre les corps et le vide autour d’eux, entre leur présence et leur absence. Cela ne se trouve ni dans la bouche des acteurs, ni dans la tête des spectateurs. Cela ne se trouve ni sur le plateau, ni dans les gradins, cela se trouve « entre ».
Avec Sylvie Kleiber, nous avons conçu une scénographie sans contour. Un décor sans bords. Mais les corps des personnages non plus n’ont pas de bords. Ni d’identité. L’identité de l’Un se place peut-être dans la continuité de celle de l’Autre. Peut-être ne sont-ils que les deux hémisphères d’un même corps. Ou peut-être leur corps trouve-t-il, ou espère-t-il trouver, un prolongement dans l’espace, en se fondant en lui. Peut-être que leur peau, qui les sépare d’avec l’air avoisinant, et leurs muscles, leurs os, qui se mesurent au monde concret, cherchent, comme un enfant qui explore le monde, les limites. Les limites entre soi et le monde, les limites entre soi et l’autre. Peut-être les corps se battent-ils constamment avec ce qui englobe leurs os, leurs muscles. Peut-être cherchent-ils désespérément un prolongement d’eux-mêmes dans l’oxygène…
Quoiqu’il en soit, tout passera par l’écoute, une écoute réelle, profonde et intime de l’espace, et du silence. Une écoute partagée avec les spectateurs. Parce que c’est sans doute à travers le silence que l’on peut le mieux se frotter aux limites – ou à leur absence. Dans le vide créé par le silence, l’espace semble s’agrandir, ou devenir aussi petit qu’une tête d’épingle. Dans le vide créé par le silence, les corps s’approchent, s’entrechoquent sans bruit, ou se dissolvent comme des vapeurs.
(extraits d’une contribution de Guillaume Béguin parue dans La Couleur des jours no 9, décembre 2013)
— dates
Arsenic
du 9 au 19 janvier 2014
www.arsenic.ch
Théâtre du Loup
du 23 janvier au 2 février 2014
www.theatreduloup.ch