Le Théâtre sauvage
« Vivre dans le monde de la peur contraint à agir, alors que vivre dans le monde de l’angoisse contraint à comprendre et à parler. »
— Boris Cyrulnik
« Sauvage » descend du latin « silvaticus » (forestier). Est sauvage ce qui sort de la forêt. Sauvage n’est pas forcément inhumain. On peut appartenir au genre humain et demeurer sauvage, comme les enfants sauvages, ces enfants humains abandonnés aux loups ou aux ours. Ou comme ceux qui, en guerre contre la société des hommes, choisissent d’embrasser la sauvagerie en se défaisant du carcan de la civilisation. On peut redevenir fauve. On peut retourner dans la forêt.
Mais on peut aussi en sortir. Descendre de nos arbres. C’est ce que nos lointains ancêtres ont fait. En investissant la savane, ils ont dû inventer une nouvelle façon d’organiser leur vie. Toutes sortes de difficultés, liées à l’émergence des sociétés humaines, se sont imposées à eux. Il fallait les surmonter, inventer du « vivre ensemble ». Des mythes, véhiculant des valeurs communes, ont été inventés. Des dieux terrifiants, qui transgressent parfois les règles sociales, ont été imaginés. On a commencé à propager leurs histoires, pour rappeler aux hommes ce qui survient lorsque certains individus, aveuglés par leur propre profit, bafouent les valeurs communes et piétinent l’intérêt général.
Dans les livres d’Histoire, on raconte que le théâtre que nous connaissons (acteurs, texte, mise en scène) a commencé chez les grecs, six siècles avant notre ère. Auparavant il y a, nous disent les livres, le culte à Dionysos, avec ses rituels mystérieux assortis de sacrifices, d’orgies et de cannibalisme. C’est de là que serait sorti le théâtre. Notre théâtre.
Mais avant Dionysos, et ça, les livres d’histoire ne le racontent pas, parce que cela n’est sans doute pas beaucoup documenté, il y avait d’autres cultes, d’autres rituels, d’autres imitations, menés par d’autres prêtres ou d’autres chamans. Au cours de cérémonies extraordinaires, vouées à d’autres divinités, ils imitaient des animaux ou des forces obscures, empruntaient d’autres danses et d’autres transes. Dans quel but ? Parce que, comme aujourd’hui, il fallait donner du sens au monde, il fallait situer l’homme dans l’univers et instaurer un ordre dans la société. Il fallait véhiculer du repère. Créer du commun.
Le Théâtre sauvage se propose de revenir aux sources du théâtre. De revenir à ce jour au cours duquel un individu s’est posté devant son groupe, et, sous la forme d’une proto-cérémonie en train de s’inventer, a pour la première fois imité quelqu’un d’autre. Devant les regards surpris, sceptiques ou séduits de ses congénères, il a découvert l’étrange pouvoir de la représentation. Il a découvert comment, par le recours à la fiction théâtrale, on peut créer ou modifier le monde et les sociétés des Hommes.
— Générique
Conception et mise en scène Guillaume Béguin, avec l’équipe artistique
Interprétation Tamara Bacci, Françoise Boillat, Joëlle Fontannaz, Joël Maillard, Pierre Maillet, Matteo Zimmermann
Dramaturgie Nicole Borgeat
Scénographie et accessoires Sylvie Kleiber, en collaboration avec Claire Peverelli
Lumière Jean-Philippe Roy
Musique, son et régie son David Scrufari
Costumes Karine Dubois
Maquillage et postiches Cécile Kretschmar, assistée de Malika Stähli
Poupées Anne Leray
Assistanat à la mise en scène Sébastien Ribaux
Régie générale Florian Leduc
Régie lumière Laurent Schaer
Régie plateau Emmanuel Ducret
Réalisation du décor Ateliers Théâtre Vidy-Lausanne, Jean-Pierre Balsiger, Sybille Portenier, Gilles Béguin
Stagiaire Costumes Pauline Roldan
Photos Steeve Iuncker, Julie Masson
Production déléguée Laure Chapel – Pâquis Production
Diffusion Delphine Prouteau
Production Compagnie de nuit comme de jour
Coproduction Théâtre Vidy-Lausanne, Théâtre Populaire Romand, Théâtre du Grütli
Avec le soutien de Canton de Vaud, Loterie Romande, Canton de Genève, ProHelvetia – Fondation suisse pour la culture, Fonds de dotation Porosus, Pour-cent culturel Migros, Ernst Göhner Stiftung, Société Suisse des Auteurs
La Compagnie de nuit comme de jour est au bénéfice du contrat de confiance 2014-2017 de la Ville de Lausanne
La Compagnie de nuit comme de jour remercie l’équipe technique du Théâtre Vidy-Lausanne pour son aide précieuse. Remerciements également Antoine Bellini, Manon et Nicolas Débonnaire, Florimond Dupont, Tibor et Piera Honegger, Melvin Ozier, Marcel Schild et Olga Wagnières
— dates
Théâtre du Grütli
11 – 20 décembre 2015
www.grutli.ch
Théâtre Vidy-Lausanne
8 – 11 janvier 2015
www.vidy.ch
Théâtre Populaire Romand
4 – 7 février 2015
www.tpr.ch
— Photos du spectacle
© Steeve Iuncker— Photos de répétition
© Julie MassonNote d’intention
À la naissance, l’homme est l’animal le plus inapte. C’est celui dont le chemin sera le plus long jusqu’à l’autonomie ; tout juste né, il n’est presque bon à rien. S’il veut survivre, l’homme est condamné à apprendre par l’imitation, à développer son intelligence, à déduire, à imaginer. Il doit se créer sans cesse, sans quoi il stagne et meurt. Dépourvu de « noyau » immuable en lui, gravé dans ses gènes, qui régirait tous ses comportements, l’homme en tant qu’homme n’est, comme l’écrit Lucien Malson, le spécialiste des enfants sauvages, « qu’une éventualité ». Une éventualité. Pas même une promesse.
Cette question (l’absence de noyau – et tous les vertiges que cela peut générer lorsqu’on en prend conscience) est au centre de mon travail depuis ma mise en scène d’Autoportrait/Suicide d’Édouard Levé, en 2010. Plus tard, en 2013, avec Le baiser & la morsure, je suis remonté aux origines. Celles de notre espèce, mais aussi celles de l’homme en tant qu’individu. Même si nous n’avons pas de noyau, nous sommes tous issus d’une nuit sans langage au cours de laquelle nous avons été conçus. C’est cette « obscurité fondatrice », sauvage, où les mots laissent place aux cris et aux grognements, que le spectacle cherchait à évoquer, à travers la métaphore des grands singes et de leurs activités presque humaines et pourtant totalement animales.
Jusqu’ici je me suis concentré sur l’individu humain, le saisissant comme un objet d’étude indépendamment de la société dans laquelle il s’inscrit. Il est temps pour moi de m’intéresser aux groupes, aux sociétés humaines et à leur construction. C’est le thème du Théâtre sauvage.
Selon René Girard, au tout début du monde (en tout cas au début de l’histoire des Hommes), il y a un meurtre. Caïn tue Abel, par exemple. C’est à partir de ce meurtre fondateur que tout s’organise, que les civilisations se créent. Que l’on soit d’accord ou non avec la vision de René Girard, il est certain que la maîtrise de la violence est un des enjeux majeurs de toutes les sociétés. Alors que les premiers hominidés ont quitté leur forêt originelle pour investir la savane, ils ont vu, peu à peu, leur cerveau se développer considérablement. La suprématie du néocortex sur le reste du cerveau leur a progressivement permis de réprimer leurs instincts, auxquels ils se soumettaient auparavant sans réfléchir. Si, instinctivement, ils ne violaient pas leurs petits ou ne tuaient pas leurs parents, ils sont désormais capables de transgresser ces interdits. Ils sont capables de développer des stratégies et de concevoir des armes facilitant la mise en œuvre de ces terribles desseins. Afin d’éviter aux individus de s’entretuer, ce qui aurait sonné le glas des sociétés humaines et donc de l’espèce, les Hommes sont parvenus à véhiculer des légendes et des mythes, qui servent de garde-fou : ceux-ci mettent en scène des divinités et des héros funestes qui transgressent les lois du « vivre ensemble ». Par exemple, le mythe de Caïn et Abel, au cours duquel le fils de premier homme tue son frère par jalousie. Ou celui du roi légendaire (Œdipe) qui tue son père et couche avec sa mère. C’est la répétition de ces récits à des moments-clé de la vie de nos ancêtres qui leur aurait permis de ne pas s’entretuer, et d’éviter trop de désordre social.
Aujourd’hui, plus de 100 000 ans plus tard, c’est toujours grâce à la culture que l’espèce humaine parvient – tant bien que mal – à se maintenir éloignée de la sauvagerie la plus totale. De tout temps, le théâtre a joué un grand rôle dans cette fonction (créer du « commun », favoriser les valeurs humanistes et démocratiques propres à nos sociétés), et notamment dans la Grèce antique, là où la démocratie a été « inventée ». Aujourd’hui encore, c’est une des missions que l’on assigne régulièrement au théâtre, ou à la culture en général. Selon Edward Bond, le rituel du théâtre serait même au cœur de la démocratie, et aurait pour fonction non seulement de « créer de l’humanité », mais surtout de montrer aux hommes comment leur humanité est créée, et par là même combien elle est fragile. Pour Le Théâtre sauvage, nous allons nous inscrire dans cette vision. Mais en lieu et place des mondes contemporains ou apocalyptiques chers à Bond, nous allons retourner aux origines du monde, à une période lointaine au cours de laquelle les hominidés ont inventé les mythes et fondé leur propre culture – c’est-à-dire leur humanité.
Sans forcément recourir à une reconstitution paléontologique rigoureuse, je souhaite, avec l’équipe artistique du Théâtre sauvage, évoquer cette période de l’histoire des Hommes où le théâtre a été nécessaire à la survie de l’espèce. Bien sûr, peut-être que cela ne s’est pas passé comme ça. Mais finalement, ce n’est pas très important. Plutôt que la vérité scientifique, je vois là l’occasion de nous interroger sur le sens de notre pratique de femmes et d’hommes de théâtre ; et peut-être d’offrir aux spectateurs l’opportunité de comprendre pourquoi ils vont au théâtre.
— dates
Théâtre du Grütli
11 – 20 décembre 2015
www.grutli.ch
Théâtre Vidy-Lausanne
8 – 11 janvier 2015
www.vidy.ch
Théâtre Populaire Romand
4 – 7 février 2015
www.tpr.ch